FAITS

Des opérations par virement passent sur le compte d’une société le jour de sa liquidation judiciaire. Le mandataire liquidateur demande à la banque de restituer ses opérations par application de l’article L. 641-9,I, alinéa 1er du code de commerce. Le tribunal de commerce de Bobigny le 23 mai 2017 et la cour d’appel de paris le 9 juin 2020, ont jugé que les opérations de virement passées sur le compte le jour de la liquidation judiciaire devaient être déclarées inopposables à la procédure collective malgré l’argument de la banque qui invoquait l’article L. 133-8 du code monétaire et financier qui dispose que l’ordre de paiement par virement est irrévocable dès lors qu’il est reçu par la banque du donneur d’ordre et la cour d’appel l’a jugé en des termes tranchés puisqu’elle dissociait l’irrévocabilité de l’ordre du transfert de propriété des fonds.

La banque Delubac se pourvoit en cassation mais dépose concomitamment une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la question de la date de transfert de propriété des fonds en matière de virement.

C’est à cette QPC que la Cour répond.

POSITION DE LA COUR DE CASSATION

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

"L'article L. 641-9, I, alinéa 1er, du code de commerce dispose que le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Cette disposition est applicable au litige, qui concerne l'action exercée par un liquidateur tendant, en application de la règle du dessaisissement du débiteur, à voir déclarer inopposables à la procédure collective les opérations effectuées sur le compte bancaire de celui-ci, dès le jour de sa mise en liquidation judiciaire à zéro heure. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Cependant, d'une part, la question posée, qui ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle. D'autre part, si tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée qu'une interprétation jurisprudentielle confère à une disposition législative, c'est à la condition que cette interprétation résulte d'une jurisprudence constante et donne une portée effective à la disposition concernée. Or, la question posée par la société Banque Delubac, qui invoque la possibilité pour un liquidateur d'obtenir de l'établissement bancaire teneur du compte d'un débiteur, dont cet établissement ignorait la mise en liquidation judiciaire, de sommes virées au profit de tiers avant le prononcé de la liquidation, ne présente pas un caractère sérieux dès lors que la Cour de cassation ne s'est pas prononcée sur la détermination de la date de réalisation d'un paiement par virement depuis l'entrée en vigueur des articles L. 133-8 et L. 133-9 du code monétaire et financier qui, créés par l'ordonnance n° 2009-966 du 15 juillet 2009 relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement, déterminent les conditions dans lesquelles un ordre de paiement devient irrévocable, de sorte que la question n'est pas fondée sur une jurisprudence constante. En conséquence, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel."

MISE EN PERSPECTIVE DE LA DECISION

La question de la date de transfert non pas de la propriété de la provision qui n’existe pas en cette matière mais des fonds, en matière de virement semblait stabilisée avant la réforme sur les services de paiement en date du 15 juillet 2009 ayant donné naissance aux articles L. 133-8 et L. 133-9 en ce qui nous concerne.

La Cour de cassation les 23 juin 1993 et 8 juillet 2003 avait jugé que la date d’inscription de l’opération au crédit du compte du bénéficiaire devait être considérée comme celle du transfert.

Dans son arrêt du 18 septembre 2007 – 06-14161 – elle réservait l’hypothèse ou le bénéficiaire d’un virement n’acquerrait ses droits définitifs que lorsque l’ordre est devenu irrévocable son droit de créance sur son propre banquier n’existant qu’à compter de la réception effective de ces fonds par ce dernier.

Le 3 février 2009 – 06-21184 – elle confirme « attendu que le virement vaut paiement dès réception des fonds par le banquier qui les déteint pour le compte de son client ».

Pour la chambre sociale seule l’inscription à la date du crédit au compte du bénéficiaire vaut paiement : Cassation sociale 17 octobre 2002.

Dans notre cas d’espèce la Cour d’appel de Montpellier a jugé le 3 novembre 2016  RG 15/00794 que le paiement des salaires effectué le jour même de la liquidation judiciaire est opposable aux tiers.

Depuis le 15 juillet 2009 l’article L. 133-8 du code monétaire et financier dispose que :

«  L'utilisateur de services de paiement ne peut révoquer un ordre de paiement une fois qu'il a été reçu par le prestataire de services de paiement du payeur sauf disposition contraire du présent article…. » suivent un certain nombre de dispositions qui réglementent des situations distinctes.

La banque Delubac fondait sa demande de QPC sur cette disposition en invoquant le fait que le transfert est lié à la date d’irrévocabilité du virement.

La cour d’appel ne l’avait pas suivi dans son argumentation et la cour de cassation juge que la QPC suppose une jurisprudence de référence ce qui n’est pas le cas puisque la haute cour ne s’est pas prononcée sur cette question de la date de transfert de propriété des fonds depuis cette réforme du 15 juillet 2009.

Elle estime donc qu’il n’y a pas lieu à transférer cette question au conseil constitutionnel.

Nous avons donc hâte que la haute Cour se prononce sur cette question qui impacte bien sur les procédures collectives mais également les voies d’exécution (saisie attribution et conservatoire sur compte) les liquidations de succession, l’exécution des contrats et la date de respect des obligations de paiement.

Va-t-elle lier l’irrévocabilité et la date du transfert ou distinguer les deux ?

Loïc Belleil, directeur de la recherche juridique chez Case Law Analytics

Source : Cass. Com. 17 février 2021, pourvoi n°20-18759, L’essentiel du droit bancaire n°4, avril 2021, p.1

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